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Parution d'un dictionnaire sur les mots de la prostitution
Escaladeuses de braguettes, petit dictionnaire de la prostitution d'Agnès Pierron - éd. Balland - 128p. - 8,90€

De A à Z

« Fleur de pavé » ou « sauterelle d'édredon », les mots des passes



Par Emilie Brouze | Etudiante en journalisme | 02/10/2011 | 16H49


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« Aller aux asperges », « carburer à l'huile de fesses », « arpenter le bitume » ou « se faire écrémer le millefeuille »… Autant d'expressions pour une même activité : se prostituer. Sordides ou empreints de poésie, Agnès Pierron a collecté les mots de la prostitution pour les ranger de A à V dans un petit dico framboise intitulé « Escaladeuses de braguettes ».

« Regarde, on ne peut pas faire plus bordel qu'ici », s'amuse Agnès Pierron, chemisier fluide bleu et bagouzes, tout en pointant les lampes « faussement pigeon » d'un café chic du boulevard du Montparnasse, à Paris.

L'idée d'un dictionnaire sur les mots de la prostitution lui vient d'un ami, un « type marginal » qui adorait se rendre au Bois de Boulogne :


« Pour lui, c'était un univers poétique. Il en parlait avec tendresse, de ces filles. »


Comme pour ses autres dicos, Agnès Pierron a commencé à noircir des fiches de mots. Elle rencontre des prostituées à Genève, discute avec des clients et se plonge dans l'abondante littérature qui évoque le sujet. Les livres « très beaux » de Grisélidis Réal, les ouvrages de Francis Carco ou les mémoires d'un commissaire de police du XIXe siècle.

« Une voyageuse sans bagages »


« Ce qui me plaît ce sont les mots imagés qui rebondissent, les métaphores filées. Il y en a beaucoup sur les fleurs, les animaux ou les vêtements. »


Agnès Pierron découvre des centaines d'expressions, « variées », « drôles » ou carrément crues qu'elle décortique. Sans chercher à magnifier un travail qui peut être « sordide » :


« Il ne faut pas oublier cette dimension, suivant comme la prostitution est vécue. »


Dans le dictionnaire, un mot peut en cacher plein d'autres. Prenons le plus usité, « prostituée » :
amazone : celles du bois de Boulogne et de Vincennes, au XIXe siècle ;
siroteuse : qui opère à la terrasse d'un café ;
Une furtive porte-cochère ;
bucolique : celles qui travaillent en forêt ;
tricoteuse : celles qui se déplacent chez le client ;
veilleuse : celles qui travaillent la nuit ;
fleur de pavé : celles qui travaillent dans la rue ;
sentinelle d'amour ;
sauterelle d'édredon ;
voyageuse sans bagages : celles qui travaillent dans les aéroports.

Le président du Sénat a bon dos

Au fil des pages, les expressions d'antan ou d'aujourd'hui évoquent les pratiques, les souteneurs ou les clients. Florilège :
•« Se faire purger le radiateur »

Expression crue pour le fait d'aller voir une prostituée. Equivalents : « se faire éponger », « se faire tirer le venin ».
•« Une visite au président du Sénat »

Il ne s'agissait pas (bien sûr) d'aller saluer un politicien. Plutôt le prétexte d'une escapade galante au Chabanais (fondé en 1878), l'une des maisons closes les plus fameuses de Paris. Le prince de Galles (et futur roi Edouard VII) y avait sa chambre (et son « fauteuil d'amour »).

Ambassadeurs, ministres, aristocrates, rois et chefs d'Etat le notait dans leur agenda sous l'intitulé ronflant. Futé.

On raconte qu'un membre du protocole, naïf, plaça la visite au programme de la reine mère d'Espagne : obligé donc d'organiser en vitesse une (vraie) visite au président du Sénat.
•« Un amant de poche »

Un souteneur qui récupérait les billets des passes. Antonyme : « l'amant de cœur », le garçon aimé qui n'empoche rien.
•« L'aquarium »

C'est l'endroit (souvent un bistrot) où se réunissait les souteneurs alias « maquereaux », « goujons », « barbiquets » ou « harengs ». Le terme a ensuite été appliqué à la place Pigalle où se trouvait un bassin (aujourd'hui disparu) autour duquel les souteneurs du quartier se retrouvaient.
•« Un kangourou »

Un client qui garde ses mains dans les poches plutôt que de sortir des billets. On l'appelle aussi le « repasseur » car il passe et repasse devant les filles, sans jamais s'arrêter.
•« Attraper les mouches »

Pour une prostituée, patienter pendant que le client finisse son affaire. Variantes : « compter les solives » ou plus pragmatique, « compter les anneaux de la tringle à rideaux ».